L’archéologie a montré que l’oléastre a fait l’objet d’une « protoculture » et d’une exploitation avant même l’âge du bronze, il y a cinq mille ans, en Anatolie. C’est ce qu’enseigna aux chercheurs l’observation de bois carbonisés, de noyaux d’olives et de pollens insérés dans les sédiments. Tout d’abord, le croira-t-on ? il fut utilisé comme combustible, avant de l’être pour son huile. Il faut dire qu’il y eut en Anatolie de véritables forêts d’oléastres, peut-être mélangés aux chênes verts et aux chênes-lièges, comme on en trouve encore, par exemple, en Algérie, et en Andalousie entre Jerez et Algésiras. Cette culture se tourna vers la production d’huile et essaima dans l’ensemble du Proche-Orient, où se développèrent les premiers pressoirs rudimentaires. Par la suite, les Phéniciens et les Grecs répandirent cette culture à mesure de l’expansion de leurs comptoirs commerciaux vers l’Ouest.
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Texte de Éric DAUTRIAT
L’olivier est dit « arbre de lumière ». Non seulement parce qu’il se nourrit de l’extraordinaire lumière méditerranéenne (qu’elle soit grecque ou provençale), mais aussi parce que cette lumière qu’il a absorbée goulûment et dont il a nourri sa chlorophylle, l’olivier la restitue. L’huile a longtemps été le moyen d’éclairage essentiel des méditerranéens. Allusion sans doute à la luminosité de la flamme couronnant celle de l’huile dorée, le Coran dit : « C’est une lumière sur une lumière. » La meilleure huile, de première pression, était réservée au corps : pour l’estomac et surtout pour la peau. Celle de la fin, plus acide, aux lampes – l’huile lampante.
Les petites lampes à huile en terre cuite pullulaient dans l’Antiquité du pourtour méditerranéen. D’Égypte, de Palestine, de Phénicie, de Syrie, de Grèce et bien sûr de Rome, les musées en regorgent, car sur la masse, un bon nombre nous est parvenu intact. [...]
Texte de Éric DAUTRIAT
Ce sont eux qui occupent la région de Marseille lorsque les Phocéens, qui sont des Grecs, arrivent de la côte d’Asie Mineure et créent leur comptoir de Massalia. On a longtemps attribué à ces derniers l’arrivée de l’olivier en Provence et en Languedoc. Il faut désormais changer de point de vue : des études archéo-biologiques et archéo-botaniques nous disent au contraire que l’olivier préexistait, en Provence. Les Ligures, ainsi que d’autres peuples occidentaux, avaient « domestiqué » l’oléastre en toute autonomie, mille ou deux mille ans avant J-C. Ce qui s’est passé ensuite est plutôt une « fécondation » de cette pratique déjà ancienne par les Phéniciens et les Grecs, qui apportèrent leurs variétés d’est en ouest (l’inverse, apparemment, n’est pas vrai – mais cela correspond de toute façon au mouvement du commerce antique, avant Rome) et leurs techniques. Les variétés aujourd’hui résultent d’abord de ces croisements, avant d’en connaître bien d’autres au cours des millénaires.
L’olivier, en Provence et Languedoc, est grec, certes, mais il est aussi ligure. [...]
Texte de Éric DAUTRIAT
Le parfum de l’huile d’olive n’est pas la moindre de ses qualités. Dans la Rome antique, ladite huile était tellement utilisée dans les soins du corps – pour la toilette, pour le sport et notamment la lutte, pour le bien-être – qu’il faut se figurer les rues de Rome comme emplies en permanence de cette odeur. Et hélas, de bien d’autres, moins reluisantes, mais au moins on peut espérer qu’elle avait la capacité de les dominer plus ou moins…
Mais l’huile d’olive n’en est pas restée là. De même que d’autres huiles végétales : de sésame, de ben (alias moringa) ou d’amande, elle a très tôt servi de base aux parfums proprement dits, du fait de sa capacité très forte d’absorption des molécules olfactives. Ces parfums, dans l’Antiquité, jouent un rôle essentiel, à forte connotation sexuelle mais aussi comme marqueurs de statut social. Comme aujourd’hui, ils manifestent le désir de séduire et une forme d’élégance. Il est bien rare que dans les tombes des riches, notamment des femmes, ne soit pas retrouvé un flacon de parfum (les lécythes en Grèce), accompagnant la défunte dans l’au-delà comme un viatique. Et ceci remonte à la plus haute Antiquité. [...]
Texte de Éric DAUTRIAT
L’Erechtéion, sur l’Acropole, s’élève à l’emplacement d’un temple plus ancien, qui était dédié à Athéna et marquait le lieu où s’était déroulée la compétition entre celle-ci et Poséidon pour la tutelle, pourrait-on dire, de la ville. On y voyait encore l’empreinte du trident rageur du dieu de la mer, et aussi, et surtout, l’olivier sacré donné par Athéna, symbole de la civilisation. En 480 avant J.-C., les Perses, lors d’une des guerres qu’ils aimaient à entretenir avec les Grecs et qui ornent encore les livres d’Histoire, mirent le feu au temple et brûlèrent l’olivier
Ils ne l’emportèrent pas en paradis puisque la même année, ils étaient battus à Salamine par la flotte grecque, probablement aidée en sous-main par Athéna tandis que Poséidon devait soutenir l’autre camp, or Poséidon perd toujours depuis Homère. Mais, fait plus surprenant, le lendemain même de sa destruction, sur la souche noircie de l’olivier sacré, une pousse d’une coudée avait repoussé. Même en tenant compte du fait que les Grecs sont des Méridionaux et ont la coudée généreuse, ce n’est pas mal.
L’olivier sacré en devint encore plus sacré.
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Texte de Éric DAUTRIAT
Après le déclin constaté au Moyen Âge, l’olivier va connaître, en France et plus largement, une nouvelle vie. Il devient une culture spéculative, tournée vers le commerce. C’est Venise qui en est à l’origine, exportant de grosses quantités d’huile vers l’Orient en échange des épices et des tissus. Cette nouvelle tendance, liée au renouveau économique européen de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance, fait tendre la culture de l’olivier en Italie vers une monoculture, au détriment des cultures vivrières locales. La même chose se produit en Andalousie, exportant, via Séville ou le Portugal, vers l’Amérique du Sud. En France, bien entendu, l’échelle modeste de l’oléiculture atténue les effets de ce redémarrage, mais ils y sont également bien réels.
Aux XVIe et XVIIe siècle, on commence à utiliser l’huile d’olive dans l’industrie naissante : l’Angleterre l’utilise pour le traitement de la laine. Et surtout, les fabriques de savon prospèrent à Marseille. Les cotonnades assurent ensuite l’expansion économique de la ville.
Tous les ports méditerranéens font un volumineux commerce de l’huile d’olive. La fraude est de la partie. Ainsi Nice effectue-t-elle le coupage d’huiles non italiennes… Une fraude, du reste, qui date de l’Antiquité et qui a encore, au XVIIe siècle, de beaux jours devant elle !
Plus tard, le développement des industries mécaniques sera très gourmand en huile d’olive. Le département du Var, très gros producteur au XIXe siècle, en bénéficie. Les chemins de fer sont les plus gros utilisateurs ! C’est à peine croyable aujourd’hui, l’image de l’huile d’olive s’étant déplacée vers l’épicerie fine et la gastronomie. Mais on estime alors à dix mille tonnes cette consommation ferroviaire ! Au XXe siècle, le développement du moteur à explosion fera espérer de nouveaux débouchés : « Des essais montrent que les qualités propres de l’huile d’olive sont au moins égales à celles des meilleures huiles minérales… Il ressort que l’huile d’olive doit devenir le lubrifiant national. » (Cité dans L’olivier en terre varoise, Edisud).
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Texte de Éric DAUTRIAT
« Je ne saurais vous plaindre de n’avoir point de beurre en Provence, puisque vous avez de l’huile admirable et d’excellent poisson. » Ainsi Mme de Sévigné console-t-elle sa fille, comtesse de Grignan, épouse du gouverneur de Provence, dont l’admirable château, dans la Drôme provençale, est désormais un haut lieu touristique et culturel. Beurre ou huile, voilà bien une opposition historique de deux cuisines, de deux France, de deux civilisations.
Opposition par trop simplifiée, pourtant, car elle fait fi d’un troisième larron dont l’importance historique et l’empreinte géographique sont bien plus grandes que celles du beurre : le saindoux. Le beurre ne s’est installé fermement en France qu’aux alentours du règne de Louis XIV, qui codifie aussi bien la cuisine que le dictionnaire, les jardins et la tragédie… Avant lui, la graisse de porc règne. Par la suite, le partage du territoire se fait, en gros, en quatre zones. Celle, tout d’abord, qui reste l’apanage du saindoux : essentiellement le Nord-Est et le Sud-Ouest, qui inclut aussi le territoire apparenté de la graisse de canard. Ensuite, il existe une vaste zone mixte où le saindoux a cédé du terrain au beurre sans disparaître, de la Flandre au Dauphiné… Ce n’est que dans un assez mince croissant Ouest-Centre de la France que le beurre s’impose sans partage : en Bretagne, dans la vallée de la Loire, dans une partie de l’Auvergne, et c’est à peu près tout.
Enfin, quasiment allogène, le pourtour de la Méditerranée, Languedoc, Roussillon, Provence, Pays Niçois et Corse demeurent, depuis la nuit des temps, depuis l’époque gréco-romaine, dans la mouvance de l’huile d’olive. Cela n’étonnera personne. Mais on peut noter que cette emprise de l’huile d’olive remonte subrepticement la vallée du Rhône et même celle de la Saône, pour aller titiller le pouvoir du saindoux jusqu’en Franche-Comté, grâce, bien sûr, au puissant moyen de communication que Rhône et Saône représentaient. Ce partage des cuisines s’est maintenu jusqu’au milieu du xxe siècle.
Le débat diététique entre graisses animale et végétale ne date pas d’hier, puisque le cardinal d’Aragon, voyageant aux Pays-Bas au début du xvie siècle, affirme : « À cause du beurre et des produits lactés utilisés en si grande abondance, j’observai que ces pays étaient infestés de lépreux. » Opposition civilisationnelle entre les deux mondes ! Les graisses animales ont longtemps été associées à la richesse, surtout le beurre, que tout le monde n’avait pas les moyens de mettre dans les épinards. Comme l’indique en creux Mme de Sévigné sous son compliment, cuisiner à l’huile, selon la culture dominante, signifie avant tout manquer de beurre. Il n’y a pas de beurre en Provence parce que la terre est trop pauvre pour nourrir des vaches. De même le saindoux participe-t-il d’une image d’opulence, de corpulence pourrait-on dire : être gras a longtemps été un signe de réussite sociale. Le grand philosophe arabe Ibn Khaldun, au xive siècle, nous en donne une version analogue, mais en miroir : au Nord méditerranéen, l’huile d’olive, au Sud le beurre, sans doute de brebis. Et d’opposer lui aussi les deux mondes, prêtant aux mangeurs d’huile « une vivacité d’esprit, une légèreté de corps, une aptitude à s’instruire » qu’il dénie aux mangeurs de beurre !
C’est sous Napoléon III que la palette s’est enrichie avec l’invention de la margarine, en 1866, à la faveur d’un concours destiné à créer des aliments sains et bon marché pour la classe ouvrière et l’armée ; c’était encore, à l’époque, un produit animal, à base de graisse de bœuf fractionnée et de lait. Aujourd’hui, des huiles végétales hydrogénées y ont remplacé la graisse de bœuf.
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Texte de Éric DAUTRIAT
Le développement de l’olivier et de l’huile se poursuit durant le XVIIIe siècle avec des reculs provoqués par de terribles gels, tel que celui de 1789 qui n’est certainement pas étranger au déclenchement de la Révolution. Ce siècle marque en beaucoup d’endroits du Sud-Est français l’apogée de cette culture. Celle-ci se stabilise ensuite, presque tout au long du XIXe, au moins jusqu’au Second Empire. Les savonneries, important débouché industriel, se développent à ce moment. Le Var et les Bouches-du-Rhône sont les départements les plus productifs. Cependant, il s’agit d’une production de petits propriétaires, sur de petites parcelles ; les choses, du reste, n’ont pas tellement changé depuis lors – c’est aussi ce qui fait l’authenticité de l’olivier… mais pas forcément sa rentabilité.
À cette époque, malgré le succès de la vigne, cette rentabilité de l’olivier reste acceptable, d’où son maintien. Les choses évoluent avec le Second Empire, qui favorise le libre-échange, puis avec l’essor de la colonisation qui développe les oliveraies d’Afrique du Nord au bénéfice des usages français. Ainsi la concurrence se renforce, ainsi que celle d’autres oléagineux. L’huile d’olive en général, et l’huile d’olive de France en particulier, entament un long déclin. L’amélioration des transports favorise aussi la pénétration d’autres graisses vers les régions du Sud traditionnellement consommatrices d’huile d’olive, en provenance du reste du pays : le beurre fait son entrée dans les cuisines provençales et languedociennes. Le même phénomène se produit, par exemple, en Espagne, où l’huile d’olive finit presque par devenir symbole de pauvreté – un comble.
Les superficies plantées en oliviers déclinent lentement, avec de brusques accélérations lors des grands gels. Ceci, tout au long de la période qui s’étend de 1870 à 1956, et même au-delà. Entre 1910 et 1935, la production du Var est divisée par plus de deux. Et ce déclin continue ensuite de plus belle : ainsi dans les Alpes-de-Haute-Provence, une division par quatre du nombre de pieds entre 1918 et 1970…
Le gel de 1956 va tout à la fois constituer une catastrophe et marquer le début d’un sursaut, lequel va mener à la situation d’aujourd’hui. [...]
Texte de Éric DAUTRIAT
Après de terribles difficultés liées à des gels successifs, l’huile d’Aix connaît un âge d’or au XVIIIe siècle. Elle est, d’après l’abbé Couture, auteur d’un important traité sur l’olivier, « la plus délicate, la plus estimée, la plus parfaite, la plus recherchée, la meilleure qu’on vende dans les quatre parties du monde ». « La meilleure huile du royaume », déclare plus sobrement le Révérend Père de Singlade, auteur de Mémoires de voyage.
Thomas Jefferson, futur président des États-Unis, voyageant en France, fut fasciné par les oliviers du pays d’Aix, le « plus riche don du ciel » ; il en rapporta un et le planta en Caroline du Sud. Tout le reste de sa vie il fit venir de l’huile d’Aix-en-Provence et fit en sorte que le rameau d’olivier, chargé de fruits, figure dans une serre de l’aigle sur le sceau officiel des États-Unis, comme symbole de paix.
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Texte de Éric DAUTRIAT
L’huile d’olive est encore de nos jours, au niveau mondial, l’un des produits alimentaires où la fraude est la plus importante, au niveau des grandes productions industrielles. Heureusement, elle se limite le plus souvent à des étiquetages illicites concernant les provenances géographiques (lorsque celles-ci ne sont pas protégées) ou la qualité (bien des vierges extra ne le sont plus depuis longtemps). Dans le passé, il en alla autrement avec une sombre pratique qui consistait à couper allègrement l’huile d’olive avec des huiles de graines de toute provenance. Le Conseil général du Var – département qui est, au XIXe siècle, le plus gros producteur de France – s’en émeut. Un propriétaire écrit en 1887 « la proportion que prend la fraude grandit tellement tous les jours que bientôt, on ne consommera plus d’huile d’olive et notre culture méditerranéenne sera ruinée ». Huiles d’œillet, de lin, de pavot, de sésame, de coton et même de radis, tout est bon pour s’enrôler sous l’étiquette de l’huile d’olive. Il faudra attendre le milieu du XXe siècle pour que, en France du moins, bon ordre soit mis à la qualité et à sa surveillance… en attendant mieux, à savoir les AOP. Il est vrai qu’entre-temps, de produit à tout faire (jusqu’à graisser les essieux des trains et les rouages des moteurs de la Marine nationale), l’huile d’olive a gagné les hauteurs du goût et de la culture gastronomique.
Ceci étant, un producteur italien est condamné dans les années 90 pour avoir massivement coupé son huile d’olive avec de l’huile de noisettes !
Laissons le mot de la fin à Léon Say, ministre des Finances à la fin du XIXe siècle : « Arachide : petite graine servant à fabriquer de l’huile d’olive. »
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Texte de Éric DAUTRIAT
En février 1956, les oliviers de France éclatèrent. Le soleil brillait et il faisait très doux depuis des semaines, le lundi 2 février, sur toute la Provence et le Languedoc, un temps de printemps. Les paysans étaient aux champs, occupés à épandre du fumier de mouton dans leurs olivaies. Dans l’après-midi, après le casse-croûte pris sur place pour éviter de perdre du temps, la fraîcheur commença cependant à tomber. Plus tôt que d’habitude. Et plus vite. Ils frissonnèrent, remirent leur gilet de laine par-dessus la chemise. Mais le froid s’aggravait et transperça bientôt le gilet de laine. C’était assez, ils rentrèrent. Du Gard à la Drôme, du Var à l’Hérault, ils allèrent se réchauffer. Les oliviers restèrent dehors, avec leurs sens en éveil, leur sève encouragée par le redoux, et leur envie de printemps.
Le soir, il faisait moins 10 °C, ou même moins 15 °C. Au milieu de la nuit, des coups de feu se mirent à claquer d’une colline à l’autre. Les vieux, qui avaient connu l’année 1929, se souvinrent, et se redressèrent dans leur lit. Bravant le froid et le vent, ils sortirent aussi vite qu’ils purent, sachant d’avance ce qui se passait. Les plus jeunes, réveillés par le bruit, sortirent sur leurs talons. Ils se hélaient d’une ferme à l’autre. Qu’est-ce qui se passe ? Écoutez, dirent les vieux, c’est comme en 1929, ce sont les oliviers qui meurent ! Et en effet, c’étaient les oliviers qui éclataient. Des cris d’arbres. Leur sève montée trop tôt durcissait et se dilatait sous l’effet du gel. Le redoux avait signé leur mort, tout autant que le gel lui-même. Ils mouraient tout d’un coup, l’un après l’autre, et le coup de feu était suivi d’un craquement de colonne vertébrale. Mais les arbres éventrés restaient debout.
Le massacre dura plusieurs jours. Telle une bête du Gévaudan dotée d’ubiquité et semant la terreur sur toute une province, le froid mordait et tuait les troupeaux d’arbres, partout, surtout ceux situés sur les versants sud des collines, les ubacs, eux qui avaient plus bénéficié de la douceur de janvier et poussé plus fort leur sève.
Dans toute la Provence, 800 000 oliviers moururent ainsi. À ceux-ci s’ajoutèrent ceux que l’on décida un peu plus tard de sacrifier, parce qu’ils étaient trop endommagés, une forme d’euthanasie en somme. Au total, on parle de 5 millions d’oliviers détruits. Bien pire qu’en 1929 ! Jean Giono : « Certains vallons de délices virgiliens étaient devenus les places d’armes de l’enfer. »
En fait, parmi les victimes, il y eut aussi ceux que l’on arracha bien qu’on eût pu espérer les faire repartir. On ne replanta pas intégralement, tant s’en fallut ; la période était fort défavorable, commercialement, pour l’huile d’olive : les temps étaient à la reconversion. La vigne et les abricotiers prirent la place.
Passé l’hiver, passé les scies, tombé le rideau sur le grand spectacle de la Bérézina provençale, les oliviers se relevèrent, tel celui de l’Acropole après l’incendie allumé par les Perses. Souvent, aujourd’hui, dans les olivaies de Provence, deux ou trois troncs encore relativement sveltes, mais portant une très belle ramure, jaillissent d’une énorme souche : ce sont des oliviers de 1956 épargnés par l’arrachage, recépés volontairement ou non.
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Texte de Éric DAUTRIAT